Térébenthine Woke in love (2)

Drieu Godefridi
4 min readJan 26, 2023

Bien sûr, j’avais cru ne jamais la revoir. Quintessence du woke, égérie de l’écologisme totalitaire, Térébenthine m’avait parue aussi éloignée de moi que je le suis de Zakia Khattabi et du dépeceur de Mons. Alors, quand un matin mon not-so-smartphone Samsung entrée de gamme sonne, affichant un ‘numéro privé’, c’est de façon plutôt machinale que je décroche :

— Allô ?

— C’est Téré.

— Térébenthine ?!

Me reviennent à l’esprit les conditions plutôt pittoresques de ma première rencontre avec cette docteure en sociologique chercheuse à Oxford (voir PAN4069). Rencontre à laquelle un certain serveur marollien n’avais survécu que d’extrême justesse.

— Que puis-je pour toi ?

Un silence.

— J’aimerais te présenter mon père.

Là, je l’avoue, je tombe de ma chaise. Téré, dont les idées sont si extrêmement de gauche qu’elles situent Pol-Pot juste à côté du cdH, Téré, qui occupe ses weekends à bloquer des routes pour soigner son éco-anxiété, Téré la lanceuse de potage sur œuvre d’art, cette Téré-là… souhaite me revoir ?! Moi ?

— Nous revoir, mais… Avec plaisir. Toutefois, pourquoi ?

— Eh bien, vois-tu, j’ai réfléchi. Je trouve que le courant passait bien entre nous…

(Énorme gloup mental que je parviens à ne pas ébruiter). Déjà, Téré poursuit :

— Alors, je me suis dit, pourquoi pas ? (sur le ton de Juliette à Roméo)

À ce degré de surréalisme, la curiosité l’emporte. J’accepte. Rendez-vous est fixé la semaine suivante.

Je m’attends à être reçu dans une ZAD, un recoin du parc Maximilien, une entrée de squat écosolidaire festif à Schaerbeek. Du tout : c’est dans une mafflue bâtisse de maître de l’avenue Brugmann que Téré me fixe rendez-vous. De plus en plus intrigué, je me dis qu’au point où j’en suis, je ne vais quand même pas me laisser impressionner par une hybridation entre Rosa Luxemburg et un Khmer rouge. Je presse le bouton à côté du nom de famille de Téré. Me répond une voix nasillarde :

— Consulat de France à Bruxelles ?

Consu-quoi ? J’ai dû me tromper. Un cas d’homonymie. On a drogué mon coca zéro. Soit, buvons le calice jusqu’à la lie :

— Pardonnez-moi, c’est probablement une erreur, mais j’avais rendez-vous avec Mademoiselle Téré (son nom)… Vraiment désolé de vous avoir importunés, je vais vous laisser…

— Mais pas du tout, mon bon Monsieur. C’est bien ici. Mademoiselle est la fille de Son Excellence. Montez !

— ‘Mademoiselle’, ‘Mon bon Monsieur’, ‘Son Excellence !’ C’est un cauchemar !

Bref, j’entre. S’avance face à moi un type tout à fait normal, ce qui est remarquable quand on connaît sa fille, qui me lance :

— Jean-Luc XXX, Consul de France.

Je reste interdit mais je parviens à articuler un vague :

— Votre Excellence, … Je suis tellement ravi de faire votre connaissance !

— Allons, pas tant de manière ! Appelez-moi simplement Excellence !

C’est à cet instant précis que je subis l’équivalent d’un triple foudroiement avec ingestion simultanée d’un demi-litre de Tabasco labelisé 6 piments sur l’échelle qui en compte 5 :

— Ma fille m’a parlé de vos projets de mariage.

Naturellement, je m’évanouis. Comme j’étais à portée d’une sorte de vaste siège en cuir clouté à l’anglaise, dans lequel je m’effondre, Son Excellence semble ne rien remarquer. Il reprend :

— Ah ! Voilà que j’entends ma fille !

Je me sens comme un Zéro pris dans le feu croisé des batteries de DCA au dessus de Midway. Téré fait son entrée.

— Ma chérie, ton amoureux nous a rejoints !

Je perds à nouveau brièvement connaissance, et rouvre péniblement les yeux pour apercevoir l’espèce d’œillade complice que me lance Téré. Elle se tourne vers S. Exc. :

— Père, il faudra revoir ma petite allocation mensuelle.

— Téré, est-ce bien le moment ?

— Père, je n’en puis plus ! Avec l’obole que vous me versez, je survis à peine ! Que voulez-vous que je fasse avec les 1500 euros par mois que vous me jetez ? Ce sont des cacahuètes aux singes !

Je songe que je me serais régalé de ces cacahuètes si on me les avait jetées quand je dépendais de mes parents. Le père se raidit :

— Téré, tu as tout de même 34 ans !

Avec toute la fougue de son idéalisme, ma future épouse se cabre :

— Mes combats n’ont pas de prix, sale vieux bourgeois !

— Téré !

— Monstre !

Surgit une énorme Bianca Castafiore, qui me lance le regard qu’on porte sur un truc moisi dans le frigo, avant de s’adresser à son excellente famille :

— Allons, mes amis, ne vous prenez pas le bec ! Surtout pas devant un étranger ! (C’est toi ici l’étrangère, espèce d’hippopotame, songe-je in petto, me flagellant aussitôt en pensée pour cet accès rabique de grossophobie xénophobe).

Comme une sorte de trêve s’installe entre père et fille, avec la grâce d’une Panzerdivision la Castafiore marche vers moi pour me tendre, superbe, sa main dodue garnie d’une émeraude comme une fraise, dans un éblouissement de petits diamants :

— C’est donc vous. (Sur le ton du contrôleur des contributions qui invite le pire fraudeur de tous les temps à passer dans son bureau.)

(À suivre)

Drieu Godefridi

Publié dans l’hebdomadaire PAN

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