18 mois qui ont changé l’Histoire
Quand j’annonçais dans un essai publié en janvier 2018 que c’est sur le plan culturel plus que politique que l’élection de Trump était significative, je fis face à un barrage d’incompréhension : d’abord, Trump et culture dans la même phrase paraissait incongru, ensuite comment pouvais-je inclure à cette irrépressible révolution culturelle l’Europe elle-même, cette Europe qui, du moins dans son flanc occidental, méprise, déteste et voue aux gémonies l’affreux Monsieur Trump ?!
La réalité est que les Etats-Unis d’Amérique sont, de très loin, la première puissance économique et militaire mondiale, a fortiori occidentale. Par conséquent, toute évolution majeure dans la société américaine est nécessairement assortie, souvent avec retard mais néanmoins, d’inflexions dans les sociétés européennes.
À vrai dire, j’avais sous-estimé l’ampleur et la rapidité de ces évolutions. Non seulement ce diable de Trump s’est-il présenté sur une “plateforme” radicale, encore l’a-t-il mise en œuvre, et tout de suite ! De ses grandes promesses électorales, il ne reste guère que “The Wall” (le mur) qui tarde à se réaliser : dans tous les autres chapitres (fiscalité, énergie, islam, dérégulation, libre-échange réel), les réformes sont menées à un train d’enfer, et livrent des résultats qu’on peut louer ou pas, mais qui sont déjà — après 18 mois — révolutionnaires.
N’en prenons qu’un exemple. Je relisais hier un article de CNN datant d’octobre 2016 qui traitait avec un souverain mépris le programme économique de Trump, ce qui du reste n’avait aucune importance puisque ce même article de CNN diagnostiquait que Trump n’avait aucune chance de se faire élire. “Trump’s team, expliquait le journaliste en cachant avec peine son ironie vis-à-vis du candidat républicain, says it will get to 4% growth with tax cuts, better trade deals and more manufacturing jobs.” (L’équipe de Trump prétend atteindre 4% de croissance avec des réductions d’impôt, de meilleurs traités de libre-échange et une augmentation de l’emploi industriel).
Or, poursuit ce journaliste en se prévalant de l’avis de pas moins de onze “experts” économistes, il existe un consensus pour dire que les USA n’atteindront certainement pas ce taux de croissance, surtout avec les “recettes” idiotes de Mr Trump, et qu’à l’inverse ce dont l’Amérique a besoin est d’ouvrir davantage la porte à l’immigration si elle veut croître même de façon médiocre…
Tout cela fait une révolution conservatrice plus profonde et radicale que celle de Reagan
Trump fut élu, il mit en œuvre très exactement son programme économique et au deuxième trimestre 2018 le taux de croissance US s’établit à 4.1% (en annualisé), là où par exemple la France de Macron est à 0.8%. Lors même que Trump a réduit l’immigration, fermant de facto la porte des Etats-Unis aux réfugiés musulmans et réduisant tous les circuits de l’immigration, légale comme illégale.
L’important n’est pas que ce journaliste ait eu tort, mais de se souvenir qu’à l’époque 90% des journalistes s’exprimaient identiquement sur le fond, et avec le même ton méprisant de la certitude et de l’évidence.
Au delà de l’économie, nous assistons à une révolution profonde sur tous les plans : géopolitique, fiscale, “normative”, militaire, énergétique, politique au sens strict. Tout cela fait, en effet, une révolution conservatrice (au sens anglo-saxon), plus profonde et radicale que celle conduite, dans les années 80, par le président Reagan.
Cette révolution embrase d’autant mieux l’Europe que, dès la candidature de Trump, d’importantes convergences de fond sont apparues avec les pays d’Europe centrale — Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie — bientôt rejoints par l’Autriche, l’Italie, le Danemark, la Bulgarie. Ce n’est pas Bruxelles, Paris ou Londres mais la Pologne que Trump choisit pour prononcer, quelques mois après son élection, son discours sur l’avenir de la civilisation occidentale.
Il ne reste guère que deux pays imperméables à cette révolution conservatrice : la France de M. Macron et le dernier carré des fidèles de Madame Merkel (ce n’est vraisemblablement qu’une question de temps que l’Allemagne ne bascule dans la révolution conservatrice, si l’on en juge par l’évolution de la CSU, d’une fraction notable de la CDU et l’institutionnalisation de l’AfD).
Que ce soit dans le domaine de l’immigration, de la fiscalité ou de l’extrême prolifération normative, les élites du passé ont été très loin dans la mise en œuvre de leurs théories, elles se sont souvent montrées extrêmes. Jamais l’individu n’a été aussi taxé que dans l’Europe contemporaine; jamais l’homme ne fut aussi “normé” jusque dans les détails les plus infimes de son existence — regards, abstention, silences ! — que ne l’est l’Occidental contemporain. Un rééquilibrage était inévitable.
Il faut se réjouir que ce rééquilibrage — cette révolution conservatrice — s’exprime de façon démocratique et dans le respect de l’état de droit. Et il faut lui souhaiter de réussir ! Car, en cas d’échec, nos populations exaspérées se tourneront vers des formations politiques nettement plus radicales. N’en jugeons que par le cas de la Hongrie, où la principale force d’opposition à M. Orbán n’est pas un parti de gauche, mais une formation objectivement raciste, antisémite et “romantique” dans le pire sens du terme.